Observateurs privilégiés des vins du Val de Loire, on ne peut que constater depuis plusieurs années l’évolution et la montée en gamme de ceux-ci, de même que la volonté de la part des vignerons de mettre toujours plus en avant les fameux terroirs qui nous sont si chers en France.
Cette mutation s’opère un peu partout le long des mille kilomètres du fleuve royal et notamment à Saumur où l’AOP fait figure de précurseur dans ce mouvement entamé depuis quelques temps déjà par un grand nombre de jeunes vignerons dont Arnaud Lambert fait partie.
Un parcours complet
L’histoire du domaine Arnaud Lambert est assez récente puisque même si c’est une affaire familiale, le domaine n’a été créé qu’il y a une vingtaine d’années.
Normand d’origine, Yves Lambert décide de changer de vie et s’installe à Saint-Just sur Dive en 1996 pour créer un domaine viticole : le « Domaine de St-Just ».
« Quand mon père s’est installé en 1996, il n’y avait rien à part quelques vignes. Il en a donc planté et acheté un peu, et il en a récupéré du côté de ma mère puisqu’ils sont d’une famille de vignerons depuis sept ou huit générations. Et puis il a construit son chais, acheté ses tracteurs… tout ça pendant dix ans, de 1996 à 2005 ».
Pendant ces dix années, Arnaud Lambert va enchainer les études et les expériences dans différentes régions de France :
Titulaire d’un bac scientifique, il quitte Caen en 1996 pour aller faire un BTS de viticulture-œnologie à Montagne-Saint-Émilion. « Les études m’intéressaient moyennement et finalement j’ai trouvé ma voie quand mon père s’est installé ».
Titulaire du BTS, il retourne à Caen où il obtient un DEUG de biologie afin de compléter ses connaissances scientifiques en vue de préparer un diplôme d’œnologue.
« Après le DEUG de bio, je suis allé à Dijon, dans une super promo et avec un prof qui venait de Champagne. Il était très orienté sur le pressurage et c’est pour ça, je pense, qu’au départ j’ai fait des blancs qui étaient meilleurs que les rouges. J’ai appris plus tard pour les rouges (rires) ».
Son diplôme d’œnologue en poche, Arnaud Lambert ne s’arrête pas là et décide de partir en Bretagne pour « sortir un peu de ce milieu du vin et (s)’ouvrir l’esprit ». Il effectue un DESS en gestion d’entreprise, avant d’aller travailler deux ans comme commercial, pour un tonnelier bordelais.
Fort de toutes ces expériences, il décide alors de revenir travailler au domaine avec son père. Les deux hommes travailleront ensemble de 2005 à 2011, année où Arnaud reprendra le domaine seul, suite au décès de son père.
Une vision des terroirs « à la bourguignonne »
Pour beaucoup de vignerons de « l’ancienne génération », l’appellation est souvent vue comme un élément qui définit à lui seul les caractéristiques d’un vin. Arnaud Lambert, comme de plus en plus de vignerons aujourd’hui, va plus loin et n’hésite pas, à la manière des climats de Bourgogne, à mettre en avant les communes sur lesquelles il cultive ses vignes et à isoler et identifier des parcelles ou micro-parcelles à l’intérieur de celles-ci qui donneront les nombreuses et différentes cuvées du domaine. « Ça s’appelait Domaine de Saint-Just jusqu’en 2017 mais désormais, j’ai mis sous mon nom. Ça n’a rien de narcissique. Et pour mettre en avant la passion que j’avais pour les terroirs et pour valoriser les communes sur lesquelles on travaille, celles-ci apparaissent maintenant tout en haut des nouvelles étiquettes, avec en-dessous, le nom de la cuvée, puis enfin, tout en bas, mon nom ».
Le domaine est implanté sur deux communes et bientôt trois : 30 ha sur Brézé, 20 ha sur Saint-Cyr-en-Bourg et 7 à 8 ha à Montsoreau, à l’extrémité de l’aire d’appellation Champigny, en bord de Loire, juste au-dessus du Château de Montsoreau. « Les terroirs sont totalement différents, c’est pour ça qu’on les met en avant. À Brézé on est essentiellement planté maintenant en chenin, pour 60 % à peu près. À Saint-Cyr, c’est l’histoire du Saumur-Champigny qui fait qu’on a beaucoup plus de rouges mais on a conservé 4 ha de vieilles vignes de blanc qui ont plus de 70 ans sur le haut de Saint-Cyr. Et puis à Montsoreau on reste en Saumur-Champigny, c’est plus adapté au cabernet franc avec des sols un peu plus profonds ».
Et ses sols, Arnaud Lambert les connait par cœur. Le jeune vigneron est en perpétuelle recherche de connaissances lui permettant de mieux comprendre les sols et ainsi de maitriser leur impact sur les vins. Cela passe par une approche globale de l’écosystème qui le mène, après le passage en agriculture biologique, à s’intéresser de plus en plus à la biodynamie : « Quand je suis revenu en 2005, mon père était en agriculture raisonnée. Il a toujours eu cette approche qualitative sur les sols mais il n’y avait pas eu ce passage en culture bio. On a commencé à travailler les premières vignes en 2006, sans la certification. Je n’avais aucune idée de la qualité que ça pouvait induire… Maintenant je trouve ça juste incroyable ! Avec le recul, on ne reviendrait jamais en arrière. Les vins sont plus précis, on fait beaucoup de vinifications sans soufre, il y a une vraie différenciation des sols. C’est un lien des racines, via l’humain, avec leur sol, un contact à nouveau, alors qu’avant tout se travaillait plutôt en surface, on n’avait pas de profondeur. On va aller plus loin et commencer cette année, sans être certifié, juste pour se faire plaisir, à travailler en biodynamie. On verra ce que ça donne, si ça apporte quelque chose, ou pas, l’avenir nous le dira ».
« Je suis le seul qui ne vendange pas… »
On comprend vite, au vu de la taille du domaine (58 ha au total) et de l’ambition du jeune vigneron en terme de qualité, que le travail est immense. Pour ce faire, Arnaud s’est appuyé sur ses compétences acquises en gestion d’entreprise et a su, depuis quelques années, s’entourer de jeunes gens de talent pour créer une vraie équipe motivée et soudée. En véritable chef d’entreprise, il gère son domaine avec une vision claire et définie de la direction dans laquelle il veut aller, entrainant avec enthousiasme son équipe derrière lui et n’hésitant pas à déléguer en toute confiance.
Parmi les différents travaux de l’année au domaine, les vendanges constituent la période la plus intense. « Les vendanges, chez nous, ça dure un mois et demi. On démarre sur les crémants de Loire, ensuite on vient faire des blancs sur Brézé et sur Saint-Cyr… Et là, pour moi, les blancs c’est un peu la guerre et le point névralgique des vendanges parce qu’on a juste 24 h pour prendre la décision et venir les couper ; Et toute l’énergie, l’équilibre qu’on peut avoir au final dans les blancs, c’est lié à la date de vendanges. Du coup, moi je ne vendange pas et je passe mon temps, avec ma petite auto, à faire le tour des parcelles et puis à goûter, toutes les semaines, tout les deux jours, tous les jours, par demie journée, et puis quand c’est le moment, on y va ! ».
Vient ensuite la récolte des rouges qui laissent un peu plus de temps : « Souvent on fait St-Cyr en premier sur les argiles, un peu plus humide, et puis on finit par Brézé. Le dernier vendangé c’est Clos Mazurique qui est le terroir le plus froid. Et ce que j’ai appris justement depuis un an, c’est de me préserver quand on fait les blancs pour garder de l’énergie pour aller vendanger les rouges à bonne maturité parce qu’on commence à fatiguer au bout d’un moment ».
Une expérience qui commence à porter ses fruits au niveau cultural, mais également sur les vinifications. Celles-ci sont pensées par terroirs, en fonction de la qualité de sol chaque sol et de ce qu’il peut apporter au vin : « Pour les terroirs à dominante de sable, on reste plutôt sur des cuves béton ou inox. La colonne vertébrale des vins sur St-Cyr ou Brézé étant l’acidité, on ne recherche pas les tanins et ça nous permet d’effectuer des macérations assez courte de huit à dix jours et ainsi de laisser la place au sol en milieu de bouche quand on déguste les vins ».
Les jus issus de sols à dominante d’argiles, un peu plus riches, sont quant à eux descendus en cave et mis en barriques et en foudres (30 hl, 15 hl ou 228 l) pendant 12 à 24 mois, puis en masse durant 6/8 mois avant d’être embouteillés. Ils devront alors patienter six mois avant la mise à la vente. « L’idéal, pour moi, c’est de vendre les vins quatre ans après leur vinification ».
À la recherche de l’équilibre
Après avoir visité les vignes puis les caves, Arnaud Lambert nous a gentiment proposé une dégustation verticale de « La Coulée de Saint-Cyr ». Nous avons ainsi pu gouter et comparer la cuvée sur sept millésimes : 1998, 1999, 2007, 2011, 2012, 2014 et 2015. Le bilan est assez parlant et on se rend bien compte, au fil des années, que les vins on gagné en finesse, en pureté et surtout en équilibre (lire la dégustation du 2011 ici). Les arômes sont plus étoffés et complexes. Arnaud l’avouera en toute humilité : il commence seulement à atteindre depuis le millésime 2014 ce qu’il a en tête et ce qu’il recherche depuis plusieurs années dans ses vins.
Après plus de dix ans à travailler, analyser les sols, essayer et ajuster les vinifications, construire et structurer le domaine, se forger une expérience de chef d’entreprise, Arnaud Lambert est en train de trouver son équilibre, tant au niveau personnel que professionnel, de la même façon qu’il cherche celui de la vigne en la plaçant au centre d’un « environnement global » qui met l’homme et la terre en harmonie. Une démarche longue mais réfléchie et cohérente qui est en passe de faire entrer ce Saumurois d’adoption dans le cercle restreint des grands vignerons de Loire. Et comme il le résume très bien lui-même : « On dit toujours qu’il faut vingt ans pour construire un domaine, que ça se mette en place. Et là, je sens que c’est le cas »… Au MVL, on ne peut que confirmer !
Un grand merci à Arnaud Lambert pour sa gentillesse, sa disponibilité et ce beau moment de partage !