Rencontre avec Christophe Prouteau, œnologue spécialiste du goût et de la dégustation

Christophe Prouteau - œnologue

Basé à Tours, Christophe Prouteau nous livre sa vision de la dégustation où objectivité rime avec sincérité.

Le MVL : Bonjour, pouvez-vous vous présenter, quel est votre parcours ?

Christophe Prouteau : Je suis d’origine poitevine. Après des études scientifiques à l’université, j’ai été intéressé par le diplôme d’œnologue que j’ai suivi à Bordeaux. Après avoir travaillé un peu dans des grands châteaux du bordelais et connaissant un peu le Val de Loire, j’ai appris que Jacques Puisais y créait l’institut français du goût. Nous nous sommes donc retrouvés à quelques uns en Touraine pour y apprendre le goût et j’ai vite décidé d’en faire une activité professionnelle, ce qui, il y a une trentaine d’années, était original.
À la fin des années 80, avec quelques amis, nous nous sommes organisés de manière d’abord associative puis, il y a une quinzaine d’années sous forme d’une petite société dont nous sommes salariés et associés : « CQFD gustations ».

Dans quel cadre intervenez-vous ?

C. P. : Une partie de notre activité s’intéresse à l’évaluation gustative de la production, pour les vins mais aussi pour d’autres aliments : identifier les spécificités de chaque appellation, définir des critères qualitatifs et d’autres de défauts…
Et il y a une autre partie de l’activité qui est plus tournée vers la personne : qu’est-ce que provoque en la personne la capacité à ressentir mieux les choses, à en prendre conscience. Et dans la petite équipe avec laquelle je travaille je suis plutôt sur cet aspect de la pédagogie et de la transmission à la personne que sur l’évaluation qualitative de la production.

Qu’est-ce que la dégustation de vins a de spécifique par rapport à d’autres aliments ?

C. P. : A priori, et pour faire simple, je dirais : rien. C’est-à-dire que la dégustation repose sur ses propres capacités, d’abord physiologiques, et ensuite liées au vocabulaire et aux outils dont on dispose et qu’il faut apprendre à utiliser, que ce soit pour déguster un morceau de pain, un fromage ou un vin.
Après, il est vrai que le vin fait partie des produits dits complexes et dont la variabilité entre deux vins doit tomber en plein dans ce que nos sens sont le mieux capables de discriminer. De plus, le vin, au même titre que d’autres produits, est issu d’une fermentation, étape qui est une source de complexité chimique et qui fait que nos sens vont être confrontés à une gamme d’éléments très différents.

Accompagnement dégustation de vin

La dégustation de vin est-elle accessible à tout le monde ?

C. P. : La dégustation telle que j’en parle nécessite un apprentissage. Non pas un apprentissage de la dégustation de vins mais un apprentissage du goût, tout simplement. Cela peut se faire dès tout petit, en apprenant le vocabulaire visuel, olfactif et gustatif. Tout comme l’apprentissage de la lecture nous permet de lire toute la littérature et non pas un auteur seulement, l’apprentissage du goût permet de déguster toutes sortes de produits, dont le vin. Cela nécessite donc un apprentissage et un entraînement afin de mettre des mots les plus déterminants possibles sur des sensations.

Y a-t-il des prédispositions à la dégustation ou est-ce accessible à tout le monde ?

C. P. : Il y a sans doute chez les gens des terrains plus ou moins favorables. Déguster c’est comme une introspection où l’on décide de prendre les sensations en essayant de ne pas les modifier ni de trop les interpréter afin de les restituer telles qu’on les perçoit, sans jugement.
Ça demande une forme de spontanéité, peut-être une forme de sincérité aussi. Il y a des gens qui ont un peu de mal à lâcher prise sur tout ce qui concerne cette émotivité, cette sensibilité nécessaires. S’il y a une prédisposition, elle est donc plus psychologique que physiologique. Tout le monde a la capacité à sentir les choses. La différence se fait ensuite dans la capacité de chacun à retranscrire ses sensations et à les interpréter.

Que dire aux personnes qui n’oseraient pas se lancer dans l’exercice de la dégustation de vin ?

C. P. : Le monde du vin est un univers qui est encore très masculin, avec des sommeliers qui utilisent des mots qui parfois ne sont pas très descriptifs, voire même un peu mystérieux, et tout cela entretient une sorte de nuage un peu élitiste qui peut laisser penser qu’il faut être un expert pour parler du vin. Mais alors qu’on aurait tendance à penser le contraire, l’outil pour déguster ce n’est pas le vin, c’est nous. Nous sommes l’instrument de musique et le vin est la partition. Et chaque personne peut interpréter le vin de manière différente.

Merci à Christophe Prouteau pour son accueil.

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